Cet article vise à explorer les processus psychiques à l'œuvre dans le travail créatif de Jean Olivier Hucleux, artiste de la deuxième moitié du XXe siècle, qui a su, en créant des reproductions picturales hyperréalistes, générer des expériences d'inquiétante étrangeté chez son public. Il se propose également de considérer les opérateurs psychiques qui ont concouru au virage artistique de Hucleux au début des années 1980, pour tenter d'en comprendre la logique et les fonctions au regard de l'ensemble de son processus créateur. Nous travaillerons à partir de l'histoire de Jean Olivier Hucleux, de l'étude attentive de ses œuvres, ainsi que des multiples entretiens, documentaires, articles qui portent sur son travail. La méthode est celle de l'approche clinique de la création qui ne réduit pas l'analyse d'œuvre à une simple application de la métapsychologie, mais s'intéresse aux processus psychiques impliqués dans les multiples dimensions de l'acte créateur (corporelle, représentationnelle, fantasmatique, sociale, interrelationnelle, émotionnelle, transitionnelle, auto-sensuelle...). Cet article met en évidence un processus créateur caractérisé par la répétition d'une expérience physique éprouvante où, jusqu'à l'épuisement, le peintre dépasse ses limites de tolérance afin d'atteindre un espace où « il n'y aurait plus de langage ». Ce dispositif créateur d'abord marqué par une impitoyable contrainte à créer et nous conduisant à repérer dans son œuvre des formes primaires de symbolisation, va prendre un décours plus tranquille au sein d'un espace transitionnel où ces signifiants énigmatiques, ces affects primitifs et ces sensations non remémorées, trouveront la possibilité de se cacher/d'être retrouvés par et dans l'acte créateur. Au milieu des années 1980, un procès pour contrefaçon va représenter pour Hucleux une étape importante dans le réaménagement de cette contrainte à symboliser où des « expériences d'envisagement » pourront être réactualisées de manière ludique et interactive, là où elles surgissaient de façon mécanique et solipsiste dans la première partie, hyperréaliste, de son œuvre. L'œuvre de Hucleux est-elle un travail de survivance psychique, aux limites de la folie d'auto-emprise ou peut-elle se comprendre comme une expérience limite d'exploration de processus archaïques ? À l'écoute de l'œuvre et de son auteur, il est en tout cas possible d'entendre la manière dont sa quête artistique ne s'intéresse qu'aux formes et aux impressions liées aux expériences d'accordage avec l'environnement et ses visages, nous retraduisant, au moyen de la remise en scène de la rencontre d'un double figé, mortifié, les silences et les malaises en attente d'être symbolisés. L'étude du travail créateur de Hucleux constitue un dispositif unique d'exploration de la vie psychique d'en deçà de la symbolisation secondaire, c'est-à-dire de cette trame de l'expérience où les sens et les affects irriguent le fonctionnement mental sous la forme de chaînes associatives formelles, au risque de l'écart intersubjectif. This article sets out to explore the psychic processes involved in the creative work of Jean Olivier Hucleux, an artist of the end of the 20th century, whose hyperrealistic pictorial reproductions have been able to generate experiences of the "uncanny valley" in his audience. This article also considers the psychic operators that participated in Hucleux's artistic shift in the early 1980s, in an attempt to understand its logic and functions in relation to the whole of his creative process. We makes use of Jean Olivier Hucleux's life story, and the careful study of his works, as well as the many interviews, documentaries, articles that relate to his output. The method is that of the clinical approach to creation, which does not reduce the analysis of the work to a simple application of metapsychology, but which is interested in the psychic processes involved in the multiple dimensions of the creative act (corporal, representational, fantasy, social, interrelational, emotional, transitional, auto-sensual...). This article highlights a creative process characterized by the repetition of a trying physical experience where the painter goes beyond his limits of tolerance in order to reach a space of exhaustion where "there would be no more language". This creative practice, first marked by a ruthless constraint to create and leading us to identify primary forms of symbolization in his work, will take a more tranquil course within a transitional space where these enigmatic signifiers, these primitive affects, and these unremembered sensations will find the possibility of hiding/being found by and in the creative act. In the mid-1980s, a lawsuit for counterfeiting allowed Hucleux to take an important step in the reorganization of this constraint to symbolize, whereby "experiments of envisioning" could be updated in a playful and interactive way, in contrast to the mechanical and solipsistic nature of his first, hyperrealistic, period. Is the work of Hucleux a work of psychic survival, at the limits of the madness of self-control, or can it be understood as a borderline experience of exploration of archaic processes? Listening to the work and its author, it is possible to hear the way in which his artistic quest is only interested in forms and impressions linked to experiences of attunement with the environment; His faces translate, by means of the re-staging of the meeting of a frozen, mortified double, the silences and uneasiness waiting to be symbolized. The study of Hucleux's creative work constitutes a unique window through which we can explore psychic life on this side of secondary symbolization: that is, this weft of experience where the senses and the affects irrigate the mental functioning in the form of formal associative chains, at the risk of intersubjective deviation. [ABSTRACT FROM AUTHOR]